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Interview de Bernard Thibault

· Certains syndicats considèrent que
la journée de manifestation
d’aujourd’hui est décisive pour la
poursuite du mouvement. Est-ce
votre sentiment ?

Bernard Thibault. Ce n’est pas la question.
Même si la plupart des médias ont tiré le
rideau, le mouvement est profondément
installé dans le pays. Il y a donc besoin de
moments où on se retrouve tous ensemble.
La journée de manifestation d’aujourd’hui
représente donc un nouveau temps fort. Il y
en aura d’autres. Nous l’avons toujours
dit : la CGT ira jusqu’au bout.

· Depuis début septembre, le
mouvement compte sept
manifestations, qui ont chaque
fois rassemblé entre deux et trois
millions de salariés. Le
mécontentement n’est-il pas plus
large que la seule question des
retraites ?

Bernard Thibault. Le mouvement part des
retraites. Mais peut-on aborder cette
question sans parler d’emploi, de
conditions de travail, de déroulements de
carrières où de salaires, de pénibilité du
travail, du sort réservé aux seniors ou aux
jeunes. En quelque mois, le travail syndical
est considérable. Alors que le
gouvernement a présenté une réforme
comptable, nous sommes parvenus à
imposer un débat de société sur la place du
travail, les conséquences de la crise
économique, sur la nécessité d’un nouveau
partage des richesses. Les salariés se
rendent bien compte qu’on leur demande
des efforts financiers en matière de retraite
alors que les banques, qui ont été
soutenues par l’Etat, sont en train de
réafficher des résultats considérables. C’est
ce qui explique l’ampleur du mouvement,
son assise inégalée en France et au plan
international.

· Les observateurs internationaux
s’intéressent effectivement à ce
qui se passe en France…

Bernard Thibault. Tous les syndicats du
monde sont confrontés à la même crise
économique. Il y a des mouvements
sociaux dans d’autres pays, en Grèce, en
Espagne, au Portugal, en Allemagne aussi,
mais je constate, une fois de plus, que la
résonance de ce qui se passe en France est
plus importante qu’ailleurs. La CGT
répondra présente pour la journée
européenne d’action contre les plans
d’austérité le 15 décembre.

· La réforme reste impopulaire,
mais la loi est votée. Et pour
certains, l’effet est quand même
démobilisateur. Il faut encore
convaincre sur cette question ?

Bernard Thibault. Par principe, une loi dit
le droit à un instant T. Toutes sont
révisables en permanence. Le
gouvernement en donne la preuve luimême
puisqu’il a révisé par cinq fois les
lois sur la sécurité. Le mouvement social
entre dans une nouvelle séquence, qui ne
peut pas être celle du renoncement.
Certains poussent à des alternatives qui
consistent soit, à se donner rendez-vous
aux élections présidentielles, soit à prendre
pour argent comptant le rendez vous de
2013 fixé par le gouvernement pour
remettre à plat le système de retraite. Le
problème, c’est que le caractère injuste de
la loi va s’appliquer rapidement. Je ne vois
donc pas pourquoi il faudrait renoncer à
tout faire pour empêcher son application.
D’ailleurs, beaucoup de salariés
considèrent que ce n’est pas possible d’en
rester là. Pour continuer, un grand nombre
choisit de se syndiquer. Depuis le 1er
septembre, la CGT a enregistré près de
8.500 adhésions, dont 2000 les 15 derniers
jours. Je peux vous dire qu’il va y avoir
encore des centaines de milliers de
personnes dans les rues aujourd’hui.

· Nicolas Sarkozy considère que sa
légitimité politique issue de
l’élection présidentielle l’autorise
à tenir bon contre le mouvement
social. Cela vous inquiète-t-il
pour l’avenir de la démocratie
sociale ?

Bernard Thibault. La colère face au
passage en force du gouvernement
s’exprime fortement dans le mouvement
social. Elle explique pour une large part
pourquoi 70% des Français soutiennent le
mouvement. La représentation politique ne
peut pas assurer une réelle démocratie si
elle impose des choix de société en ne
tolérant pas que d’autres acteurs
s’expriment, dont les acteurs syndicaux. Je
me souviens encore des polémiques de
2003 où parmi les syndicats, certains
portaient l’idée qu’on ne pouvait pas agir
pendant que le parlement légiférait. Il y a
aujourd’hui unanimité syndicale, non pas
pour remettre en cause la légitimité
institutionnelle des représentant du peuple,
mais pour considérer qu’ils ne peuvent pas
légiférer en ignorant ce que dit justement le
peuple.

· Cette légitimité du mouvement
social s’exprime fortement dans
les manifestations, avec l’idée que
Sarkozy va la payer cher. Vous le
pensez aussi ?

Bernard Thibault. Cela serait bien normal
et c’est même souhaitable. Toucher aux
retraites, c’est s’attaquer à un des piliers
fondamentaux du contrat social. On ne
peut pas prétendre chambouler un des
piliers de la protection sociale en ricanant à
la face des représentants des salariés.

· L’intersyndicale se montre très
solide depuis le début du
mouvement. L’unité va-t-elle
tenir encore ?

Bernard Thibault. Il faut d’abord prendre
acte de la confirmation d’une conviction
très ancienne de la CGT : on peut
bousculer beaucoup de choses si les
conditions de l’unité syndicale sont
réunies. Et cette fois ci encore, l’unité
syndicale est un des éléments moteurs de la
formidable mobilisation que nous
connaissons.
Il est vrai qu’on arrive à un moment où
peuvent apparaître entre les syndicats des
divergences sur l’opportunité des
possibilités de continuer l’action pour
obtenir d’autres réponses sur l’avenir des
retraites.
C’est apparu lors de l’intersyndicale jeudi
soir. A l’initiative de la CGT, le principe
d’une nouvelle journée d’action a été
retenu. La date doit être fixée lundi et se
situera entre le 22 et le 26 novembre.
S’il s’avérait impossible de continuer la
bataille sur les retraites avec un
engagement unanime de tous les syndicats,
la CGT continuerait le combat avec ceux
qui veulent le continuer.
Pour nous, l’échéance principale est celle
du 1er juillet 2011 à partir de laquelle les
mesures que nous contestons entreront en
application.
D’ici là, nous avons largement la
possibilité de créer le rapport de forces
nécessaire pour obtenir l’ouverture de
négociations.

Propos recueillis par Paule Masson.

Interview reproduite avec l’aimable autorisation de l’Humanité Tous droits de reproduction et de diffusion réservés au journal

Article publié le 6 novembre 2010.


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